Dimanche à l’aube, une tentative de coup d’État a visé le président béninois Patrice Talon dans sa résidence de Cotonou. Pour la première fois, le colonel Dieudonné Djimon Tévoédjrè, commandant de la Garde républicaine, raconte les affrontements qui ont opposé ses hommes aux mutins du lieutenant-colonel Tigri, leur volonté de capturer le chef de l’État et l’intervention décisive des forces nigériennes et françaises.
Le colonel Dieudonné Djimon Tévoédjrè, commandant de la Garde républicaine béninoise, témoigne au micro de Christophe Boisbouvier.
Colonel Tévoédjrè, bonjour.
Il y a eu une tentative de coup d’État dimanche dernier. Comment cela s’est-il passé ?
Effectivement, il y a eu une tentative de coup d’État dimanche dernier. Tout a commencé à 2 h 10, lorsque j’ai reçu un appel du général de corps d’armée Bertin Bada, directeur du cabinet militaire du président de la République. Il m’a alerté qu’il était attaqué à son domicile par des hommes cagoulés. Je lui ai demandé la géolocalisation de sa maison pour envoyer des renforts.
Mais les choses se sont enchaînées très vite : juste après, le général Abou Issa, chef d’état-major général des armées, m’a également appelé pour dire qu’il était attaqué lui aussi. J’ai immédiatement compris qu’il ne s’agissait ni d’un acte isolé ni de délinquance, mais d’une atteinte à la sûreté de l’État. En tant que premier responsable de cette sécurité, j’ai alerté la Garde républicaine et me suis porté vers mon unité pour défendre la patrie.
Les événements se sont ensuite déroulés comme vous l’avez constaté. Après avoir kidnappé le chef d’état-major de la Garde nationale , une structure créée récemment par le chef de l’État pour faire face au terrorisme au nord du pays, les mutins ont décidé de s’attaquer aux institutions de la République, notamment au président.
Au petit matin, vers 5 heures, ils ont attaqué le domicile du chef de l’État. Heureusement, j’étais déjà sur place pour organiser la défense de la résidence et du palais présidentiel. J’étais présent lorsque l’assaut a été lancé. La horde d’assaillants a attaqué, mais nous avons organisé la riposte. Ils ont été surpris par la détermination de mes hommes et ont été mis en déroute.Les affrontements devant la résidence ont été très violents.
Le président et son épouse étaient-ils dans leur résidence ?
Oui. Je confirme qu’ils étaient présents. J’ai été agréablement surpris par le courage du président, qui est resté à mes côtés pour suivre les combats, malgré mes insistances pour qu’il se mette à l’abri. Depuis 3 heures du matin, lorsqu’il a été informé, jusqu’à la fin des opérations dans la soirée, il n’a jamais quitté les lieux.
Combien de temps ont duré les affrontements ?
Environ 45 minutes. Les assaillants sont arrivés avec des engins blindés. Nous avions également des blindés. Le combat a été farouche. Ensuite, ils ont débarqué et utilisé les ruelles menant à la résidence, sans savoir qu’elles étaient bien tenues. Ils ont été mis en déroute.
Nous avons eu un mort et un blessé. Je ne peux pas dire combien de morts ils ont eus. Après leur échec, les mutins se sont dirigés vers la télévision d’État ?
Exact. Comme ils n’avaient pas réussi à capturer ou éliminer le président, ils ont exécuté la suite de leur plan : prendre la télévision nationale pour diffuser leur message. Pendant qu’ils le faisaient, nous sommes passés à la contre-attaque. Quand nous avons détruit un de leurs blindés, ce fut la débandade et ils ont abandonné l’ORTB. Avec l’appui des unités venues de Ouidah et d’Alada, nous avons repris la télévision. Les mutins se sont ensuite retranchés sur la base de Togbin, à une dizaine de kilomètres du centre-ville.
Là, il y a eu un face-à-face. Qu’avez-vous décidé ?
Nous avons encerclé la base. Notre première idée était de monter à l’assaut, mais cela aurait créé des dommages collatéraux importants, car la base est en zone habitée. Nous avons renoncé. En fin de journée, vers 20 h ,21 h, nous avons fait appel à la coopération sous-régionale, sous mandat de la CEDEAO. Le Nigeria a répondu favorablement. Des frappes ciblées ont détruit les engins qui leur auraient permis de relancer une attaque, notamment contre l’aéroport.Après les frappes, ceux qui étaient dans la base ont pris la fuite. Puis, avec les renforts venus de Ouidah et du camp d’Alada, nous avons procédé au ratissage. Ce ratissage a été effectué avec l’appui d’éléments des forces spéciales françaises venus d’Abidjan, qui ont achevé le travail.
Combien d’avions nigérians sont intervenus ?
Un seul, mais il a effectué plusieurs passages pour être efficace tout en évitant tout dommage aux habitations.
Vous avez aussi bénéficié d’un avion d’observation français ?
Oui. Un avion de reconnaissance français nous a permis de localiser précisément les mutins.
Et des forces spéciales françaises sont arrivées ?
Tout à fait. Elles sont arrivées en fin de journée et ont concouru au ratissage après les frappes nigériennes.
Où sont les mutins aujourd’hui ?
Certains ont fui vers le nord. Les deux chefs d’état-major qu’ils avaient kidnappés ont été libérés à Tchaourou, à environ 400 km de Cotonou.
Quant au lieutenant-colonel Tigri, présenté comme le chef, je ne peux pas confirmer s’il est encore sur le territoire. Était-il vraiment le commanditaire ou y avait-il quelqu’un au-dessus ? C’est possible.
Aviez-vous remarqué des signes avant-coureurs dans son comportement ?
Non. Rien qui aurait pu nous alerter. Cela a été une surprise.
L’armée béninoise n’a-t-elle pas joué un rôle décisif dès le matin ?
Si, et c’est important de le rappeler. Notre armée s’est engagée depuis la Conférence nationale à rester républicaine. Nous l’avons démontré de nouveau. La Garde républicaine porte ce nom pour une raison : elle défend les institutions, pas un homme.
Nous avons fait l’essentiel du travail avant de solliciter la coopération sous-régionale et internationale.
Certains comparent le colonel Tigri au colonel Doumbouya en Guinée.
Les deux occupaient une fonction similaire. Mais nos armées sont différentes, et les résultats aussi.
Les mutins affirment que l’armée est mal organisée face au djihadisme et que les familles de soldats sont mal accompagnées.
Ce sont des prétextes. L’armée béninoise est aujourd’hui bien mieux équipée qu’il y a dix ans. Les engins blindés utilisés par les mutins ont été acquis récemment. Nos camps sont modernisés, et les textes encadrant la prise en charge des blessés et des familles de victimes sont appliqués depuis deux à trois ans.
Le fait que le chef des mutins soit toujours en fuite vous inquiète-t-il ?
Pas du tout. Nous sommes une armée aguerrie. S’ils tentaient de recommencer, nous ferions face.
L’arrestation ne relève pas de ma compétence : c’est le rôle de la police républicaine et des services de renseignement.