Depuis la disparition d’Evgueni Prigojine, ancien chef du groupe Wagner, en août 2023, la stratégie russe d’influence en Afrique a évolué. Si les réseaux d’influence liés à Wagner ont été démantelés, la Russie n’a pas pour autant abandonné le terrain informationnel africain. Elle a simplement adopté de nouveaux outils, plus sophistiqués, incarnés notamment par African Initiative.
African Initiative se présente comme une agence de presse indépendante dédiée à renforcer les liens entre la Russie et l’Afrique. En réalité, elle est largement considérée comme un relais contrôlé par les services de renseignement russes, chargé de diffuser une propagande pro-Kremlin tout en dissimulant ses véritables intentions. Cette structure se déploie sur plusieurs canaux numériques, notamment des sites web et des comptes sur les réseaux sociaux, en ciblant les populations francophones et anglophones du continent.
Mais la véritable innovation réside dans la manière dont African Initiative mène ses campagnes numériques. Pour maximiser sa portée tout en échappant à la surveillance, elle a recours à un mode opératoire informationnel (MOI) baptisé « AI-Freak ». Ce MOI combine l’utilisation intensive de contenus générés par intelligence artificielle (images, vidéos, textes) avec des techniques avancées de désinformation et de manipulation des algorithmes des plateformes sociales.
L’objectif d’African Initiative est clair : façonner l’opinion publique africaine pour qu’elle soit plus favorable à la Russie, en contestant l’influence occidentale et en légitimant les actions du Kremlin, notamment en Ukraine. Si les ambitions sont grandes, le bilan d’impact réel reste encore incertain. Les audiences des plateformes numériques d’African Initiative sont relativement faibles, et l’efficacité de ses actions hors ligne n’a pas encore fait l’objet d’études approfondies.
AI-Freak : la nouvelle arme secrète de la désinformation
Le terme « AI-Freak » désigne un ensemble d’actions coordonnées visant à amplifier la visibilité de contenus pro-russes tout en brouillant leur origine. Grâce à l’intelligence artificielle, des images et vidéos manipulées sont créées à la chaîne, souvent difficiles à distinguer du contenu authentique. Ces contenus sont ensuite diffusés via des comptes souvent automatisés ou gérés par des réseaux d’influenceurs locaux recrutés par African Initiative.
Cette tactique a été détectée et analysée par des acteurs tels que Meta (Facebook) et OpenAI, qui ont pu observer un usage massif d’outils automatisés et d’algorithmes pour contourner les mécanismes de modération. Ce mode opératoire permet de générer une impression de spontanéité et de soutien populaire, alors qu’il s’agit d’une manipulation orchestrée.
Un écosystème hybride
Contrairement aux campagnes purement en ligne, African Initiative a su construire un écosystème hybride. En parallèle à ses opérations numériques, l’agence investit dans des actions « hors ligne » en Afrique : création d’associations locales, financement de voyages de presse, écoles de journalisme, et partenariats avec des acteurs locaux. Ces initiatives renforcent la crédibilité de ses relais sur le terrain et facilitent la diffusion « organique » de ses idées.Ce double mode d’action rend la propagande russe plus insidieuse, car elle s’appuie à la fois sur la technologie et sur des liens humains, créant un réseau difficile à démêler.
Une menace nouvelle dans la guerre de l’information
African Initiative illustre une mutation majeure dans les stratégies d’influence : le passage à une propagande 2.0, hybride, où la technologie et l’humain s’entrelacent pour manipuler les perceptions. L’usage de l’intelligence artificielle dans la production de contenus de désinformation marque un tournant, avec des risques accrus de diffusion de fausses informations difficiles à contrer
Laisser un commentaire