La fuite du lieutenant-colonel Pascal Tigri, cerveau présumé du putsch manqué contre le président béninois Patrice Talon, dépasse le cadre d’un fait sécuritaire national. Elle révèle une Afrique de l’Ouest profondément fragmentée, où la solidarité régionale a cédé la place aux logiques de blocs et aux affrontements indirects.
Pendant plusieurs jours, le lieutenant-colonel Pascal Tigri est resté introuvable. Officiellement en fuite depuis l’échec de la tentative de coup d’État du 7 décembre à Cotonou, l’ancien chef des forces spéciales béninoises est désormais au cœur d’une affaire aux ramifications régionales explosives.
Selon les services de renseignement béninois, Tigri aurait quitté le pays dès le jour du putsch pour se réfugier d’abord au Togo, avant de poursuivre son itinéraire vers le Burkina Faso, puis le Niger. Un parcours qui, s’il venait à être confirmé, dessinerait une nouvelle géographie de l’instabilité politique en Afrique de l’Ouest. Car ce qui frappe les autorités béninoises, au-delà de la cavale elle-même, c’est le silence , sinon l’inaction totale des pays supposément traversés.
À Lomé, aucune confirmation officielle n’est venue étayer ou infirmer la présence du fugitif. À Ouagadougou et à Niamey, les autorités se murent également dans le mutisme.
L’ absence de coopération contraste fortement avec les pratiques qui prévalaient encore il y a quelques années, lorsque la CEDEAO imposait une ligne dure face aux tentatives de renversement de gouvernements élus. Depuis l’arrivée au pouvoir de juntes militaires au Mali, au Burkina Faso et au Niger, cet édifice régional s’est fissuré. L’affaire Tigri apparaît désormais donc comme le symptôme d’un basculement plus profond.
Le Bénin, longtemps considéré comme l’un des États les plus stables de la région, se retrouve exposé à des dynamiques de déstabilisation venues du Sahel. Une situation d’autant plus préoccupante que les relations diplomatiques avec Niamey sont déjà extrêmement tendues.
Ordre constitutionnel ou régime militaire
Les autorités nigériennes accusent régulièrement le Bénin de servir de base arrière à des groupes hostiles à leur régime. Du côté gouvernement béninois, on dénonce une possible bienveillance, voire un soutien indirect, apporté aux mutins béninois. Entre les deux capitales, la frontière est fermée, le dialogue rompu et la méfiance totale.
Du coup, la cavale de Pascal Tigri agit comme un révélateur. Elle met en lumière une Afrique de l’Ouest divisée entre États côtiers attachés à un ordre constitutionnel , et régimes militaires sahéliens engagés dans une rupture assumée avec l’ancien cadre régional. Plus qu’un homme en fuite, Tigri incarne désormais un tournant.
Celui d’une région où les coups d’État ne sont plus seulement des affaires nationales, mais des événements transfrontaliers, porteurs de risques systémiques